L'ONU ET SES ORGANES

 

Forum Social Antinucléaire / Paris
Atelier du vendredi 3 novembre 2017 de 14h à 16h15

 

 

L'ONU ET SES ORGANES
des institutions de et pour l’âge atomique

par Yves Lenoir, contribution au FSM-AN, le 3 novembre 2017

 

 

 

Les débuts de l'âge atomique

 

La chronologie, le parcours des hommes qui ont dirigé la création des institutions et organes de l’ONU, et leurs débats tels que rapportés dans les archives montrent l’influence de la révolution scientifique, culturelle et sociale déclenchée par la découverte fortuite des rayons X en 1895. Un an plus tard, Becquerel établit que l’uranium émet des rayons « uraniques » différents des rayons X, et en 1900, deux ans après la découverte du radium, la mesure de l’énergie énorme produite par sa désintégration ouvre la perspective de la libération de l’énergie atomique.

L’objectif de tous les physiciens en découle : explorer les arcanes du noyau atomique pour trouver le moyen de libérer en un clin d’oeil ce que le radium fait naturellement très lentement. Bref, passer d’une demi-vie radioactive de plusieurs siècles à un événement d’une « violence cosmique », selon les mots du philosophe Henry Adams en 1903…

Il ne fallut pas moins de quarante ans pour trouver la clé : la fission neutronique de l’uranium. Entre temps, le corps médical se jeta goulument sur les rayons X, puis le radium. A son détriment autant qu’à celui de patients soumis à ses expérimentations. Difficile pour tous d’admettre que la médaille avait un revers.

 

 

 

La CIPR (1928)

 

Et ce n’est qu’au milieu des années 1920, trente ans après les débuts de cet âge des rayons X et du radium, qu’une poignée de physiciens et de médecins se concertèrent pour créer la CIPR (1928), une association privée, statutairement indépendante de toute ingérence extérieure. Les notions de doses tolérables, de dommages réversibles (à l’instar de ceux causés par les maladies infectieuses dont on guérit), d’optimisation qualitative tant des mesures de protection que des ressources humaines (invention des travailleurs intérimaires du radium en 1937) s’expriment dans leurs premières séries de recommandations.

L’homologue américain de la CIPR, le NCRP (dirigé par les mêmes hommes) fixa la dose limite pour le Manhattan Project (MP) de bombe atomique, 1 mSv/jour… en dépit de la demande de division par dix des généticiens. La guerre et le secret absolu couvrant les activités de la Division biologie et médecine du MP interrompirent les activités de la CIPR.

À peine les hostilités terminées, Lauriston Sale Taylor (1902-2004), président et seul survivant actif de la CIPR, manoeuvra superbement. Il regroupa autour de lui les hommes et institutions qui comptaient pour mener à bien la renaissance de la Commission.

Son but : la faire reconnaître comme l’interlocuteur obligé en matière de protection radiologique (inversion orwellienne de la réalité) dans tous les domaines, y compris bien entendu celui de l’entrée de l’humanité dans l’âge de l’énergie atomique. L’enthousiasme régnait sans partage.


 

 

L'OMS (1948)

 

Parallèlement, dans l’ignorance de ce processus, un trio de médecins obtint de la Conférence de San Francisco (création de l’ONU) que l’on fît tabula rasa des institutions internationales de santé existantes et qu’on s’engageât sur la voie de la création d’une organisation universelle de la santé.

En 1948, à l’issue d’une procédure complexe, l’OMS vit le jour.

 

« Le monde est entré dans l'ère atomique. Les points de vue ont évolué… L'organisation
pourra se féliciter d'être la première à reconnaître que le monde entre dans une ère nouvelle. »

OMS, Actes officiels concernant la création de l'OMS, Paris, 18 mars - 28 avril 1946
sources : http://www.who.int/library/collections/historical/fr/index3.html

 

 

Durant les travaux préparatoires une personnalité émergea (très certainement avec l’appui en sous main des américains). Il s’agissait du général canadien Brock Chisholm, un psychiatre responsable du conditionnement psychologique des soldats durant la guerre, fervent partisan des usages de l’énergie atomique, tant militaire (pour écraser toute velléité d’hostilité) qu’industrielle (dont il attendait à échéance d’une vingtaine d’années le début de la libération de la « malédiction du travail »).

Premier Directeur Général de l’Organisation, il poussa au développement de l’usage des radio-éléments en médecine, négligea, comme son successeur, le Dr Candau, toute évaluation des conséquences sanitaires des bombardements de Hiroshima et Nagasaki et des retombées des essais atomiques.

La notion de protection radiologique était totalement absente des préoccupations de l’OMS.

 

 

L'OMS s'affilie la CIPR (1954)

 

C’est pourquoi, début 1954, suite au discours Atoms for Peace du Pt Eisenhower devant l’AG de l’ONU, l’Organisation se montra incapable de répondre à une question du représentant de l’Autriche sur sa doctrine de protection de la population mondiale. Et elle ne découvrit la CIPR qu’un an plus tard…

Consciente de son ignorance de ces questions et des limites de son budget, elle décida de s’affilier la Commission. Ainsi, une association autonome de droit privé se vit conférer par une institution de l’ONU un pouvoir discrétionnaire sur tout ce qui touche à l’exposition aux rayonnements ionisants !

 

 

 

L'UNSCEAR (1955)

 

La succession des événements est connue : fin 1955, l’ONU se dota d’un comité scientifique sur les effets de la radiation atomique, l’UNSCEAR, dont le premier recrutement fit largement appel aux dirigeants de la CIPR… La science des radiations est ainsi la seule qui échappe au débat académique ordinaire.

Il ne restait plus qu’à créer l’AIEA.

Mais le contexte était troublé par le scandale provoqué par les essais de bombes à hydrogène à Bikini et le cas des marins japonais victimes de leurs retombées. Un mouvement contre l’énergie atomique commençait à se développer.

La Fédération mondiale de la santé mentale, que Brock Chisholm avait créée en 1948 après son intronisation à la tête de l’OMS, prit contact avec l’Organisation pour traiter le problème. Cette dernière réunit un groupe d’experts où figuraient trois spécialistes (anglais, canadien – Chisholm soi-même – et américain) de la propagande de guerre, deux représentants de la CIPR, et une brochette de fanatiques des rayonnements et de l’énergie atomique, dont le français Maurice Tubiana, formé dix ans plus tôt au Laboratoire de John Lawrence, le pionnier des tests des radioisotopes sur l’Homme.

En mai 1958, le Dr Candau autorisa la publication par l’OMS de leur rapport, un rapport fondateur qui psychiatrise l’opposition au développement de l’énergie atomique et préconise quelques remèdes pour y obvier.

 

 

La hiérarchie quant au contrôle de l’exposition aux radiations est simple : la science de l’UNSCEAR au sommet, puis, juste en dessous, les recommandations de la CIPR, fondées sur la-dite science, les institutions « opérantes » en troisième position (AIEA, EURATOM etc), et en dernier lieu les législations nationales qui adaptent à leur niveau les recommandations de la CIPR, éventuellement filtrées par des organes supra-nationaux.

 

 

 

Tchernobyl (1986)

 

La crise de Tchernobyl a révélé la logique de la « protection radiologique internationale » : il s’agissait avant tout de préserver l’humanité d’une sortie de l’âge atomique. Il fallait donc déterminer et faire admettre un compromis entre coût des mesures exceptionnelles à consentir et exposition « tolérable » des groupes humains maintenus dans des conditions où il est quasi impossible de respecter les limites d’exposition du temps normal. L’OMS remplit alors parfaitement son rôle en déléguant mi 1989 un trio d’experts (dont deux membres de la CIPR) pour convaincre une population récalcitrante d’accepter sa situation.

 

 

Dernière observation : les membres de la CIPR sont des militants de la cause de l’exposition de l’humanité aux rayonnements.

 

Aujourd’hui, succès d’une stratégie lancée dans les années 1950, le CEA exerce son influence directement au plus haut niveau de la Commission, mais aussi de l’IRPA (association internationale de protection radiologique) qu’il héberge dans son siège de Fontenay-aux-Roses. Cerise sur le gâteau, la création de l’IARC (association internationale de lutte contre le cancer) résulta de l’intervention auprès de De Gaulle de quelques assez obscurs pontes de la médecine et de l’administrateur du CEA de l’époque, Francis Perrin – le « père » de la bombe A nationale.

Il faut être conscient de ce que signifie l’âge atomique. Nous y sommes.

Ceux qui prétendent protéger l’humanité des radiations ont été les plus ardents promoteurs de son avènement et s’acharnent aujourd’hui de le pérenniser contre vents et marées.

Attaquer l’AIEA est proprement insensé : l’Agence remplit son rôle statutaire.

 

Deux institutions sont illégitimes. Non pas parce qu’elles pilotent le déni des séquelles de Tchernobyl et Fukushima, mais parce qu’elles sont juridiquement soustraites à tout contrôle de leurs activités : la CIPR et l’UNSCEAR.

 


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