LES PROCESSUS D'HÉGÉMONIE

 

Pourquoi les peuples laissent-ils
s’accomplir le crime nucléaire
contre les prochaines générations ?

 

Nicole Roelens
Contribution au FSM antinucléaire du 2 au 4 novembre 2017 à Paris

Atelier « Libérer l’ONU du nucléaire » : http://tinyurl.com/yazl94mr

 

 

Pour aborder le crime nucléaire contre les prochaines générations, je vous propose d’observer le tableau des conséquences sanitaires du nucléaire, que j’ai réalisé en 2008 suite à un dialogue avec le Docteur Michel Fernex (ci-dessous). Il résume les observations des médecins et scientifiques qui sont venus au secours des populations d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie affectées par l’accident de Tchernobyl[1] et qui contrevenaient ainsi à la volonté politique d’en occulter les conséquences pour préserver l’avenir de l’énergie atomique.

On constate dans ce tableau que les adultes exposés aux retombées radioactives et à l’ingestion de nourriture contaminée par des radioéléments artificiels sont durement touchés par les maladies auto-immunes, les pathologies de la thyroïde, l’aggravation des problèmes cardio-vasculaires, les cancers, le vieillissement accéléré.

 

Impact sur la santé de l’exposition répétée à des « faibles doses » de radioactivité artificielle :

 

Le nombre de décès provoqués par l’industrie nucléaire est volontairement passé sous silence. La mortalité radio-induite n’est pas circonscrite aux environs de Tchernobyl ou de Fukushima. La radioactivité dite de « faibles doses » [2] envahit notre environnement. On peut dresser aujourd’hui la géographie des zones contaminées. On peut aussi mesurer l’augmentation constante de la contamination mondiale. Tous les mouvements antinucléaires dénoncent la loi du silence que le lobby nucléaire a réussi à imposer sur la destruction à long terme d‘un écosystème viable pour les humains.

Cependant je voudrais aujourd’hui attirer votre attention sur une dimension encore peu appréhendée du crime nucléaire : son impact sanitaire est d’autant plus violent que l’on remonte le cours de la vie vers son origine.

Ainsi il est plus violent sur les enfants qui déclenchent en grand nombre des leucémies, des maladies endocriniennes comme le diabète et qui sont prématurément épuisés. Il très dangereux pour les fœtus qui meurent ou naissent malformés, malades et handicapés à cause de mutations génétiques qui deviennent héréditaires. Il détruit la fécondité des jeunes femmes et hommes, crée des pathologies de la procréation et des stérilités. Il endommage les gonades et détruit le capital génétique des populations affectées.

En bref, il s’attaque à l’intégrité génétique de l’humanité et donc à son devenir en tant qu’espèce. L’espèce humaine c’est l’humanité envisagée dans une temporalité plus longue que notre propre existence, c’est-à-dire la temporalité intergénérationnelle.

 

 

Ce sont les armes nucléaires qui ont ouvert le feu contre le devenir de l’espèce. Dès août 1945, au milieu de l’euphorie occidentale qui célébrait le bombardement d’Hiroshima comme une victoire technologique, Albert Camus déclarait « …la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif et l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. » Nous sommes plus près encore aujourd’hui du suicide collectif. Il est urgent que l’humanité renonce à la toute-puissance technologique et investisse dans les technologies conviviales déjà proposée par Ivan Illich [3]. Malheureusement ce choix reste marginal.

Le nucléaire est d’abord une technique de destruction massive, l’atout majeur de la thanatocratie c’est-à-dire l’attribution du pouvoir à ceux qui détiennent la plus grande capacité d’extermination [4]. C’est le cas même au Conseil de sécurité de l’ONU.

Le nucléaire a ensuite été stratégiquement travesti en technologie pouvant assurer le bonheur et la prospérité de l’humanité, alors qu’il assurait en fait la production du plutonium nécessaire à l’industrie de l’armement. Ce mensonge fondateur a fourni un modèle d’agression technologique contre l’espèce humaine qu’ont emprunté ensuite bien d’autres technologies de la toute-puissance : en plus de la toute-puissance énergétique avec le nucléaire, est apparue la toute-puissance biologique des OGM et de toutes les manipulations génétiques, la toute-puissance informationnelle avec le Big-data, la toute-puissance techno-médicale avec la fabrication des humains…

Le mouvement antinucléaire récuse l’industrie nucléaire en l’accusant à juste titre d’être responsable d’une surmortalité dont on discute les chiffres[5]. Je voudrais ici élargir la perspective en montrant que le projet de toute puissance technologique est en soi mortifère pour l’espèce humaine et peut conduire à son extinction.

 

Va-t-on vers une extinction de l’espèce humaine d’ici trois ou quatre générations ?

Cette hypothèse est soutenue par Paul Jorion. Il lance l’alerte en se référant à des travaux scientifiques qui montrent l’accélération du rythme de destruction des conditions de viabilité de l’espèce humaine [6] . Le risque d’extinction peut faire débat, en tout cas on ne peut plus nier que l’humanité est habitée par un mécanisme d’autodestruction. Reste à espérer qu’elle soit aussi potentiellement habitée par un mécanisme d’autoréparation. En tout état de cause, l’inversion de la course à l’abîme demandera un effort psychique et organisationnel considérable aux humains d’aujourd’hui. Cet effort ne réside pas seulement dans la transition écologique, il réside aussi dans l’éradication des rapports d’hégémonie.

 

 

Course à l’abîme ou remise en cause des rapports hégémonique-asservissement
entre les deux moitiés de l’humanité ?

Je soutiens dans le Manifeste pour la décolonisation de l’humanité femelle [7] que le processus de suicide collectif est inséparable des formes contemporaines de la fabrication de l’hégémonie de l’humanité mâle. Le rapport hégémonie-asservissement est profondément inscrit dans les rapports de sexe. Il modèle les rapports sociaux et intoxique profondément les processus collectifs de décision qui déterminent le devenir de l’humanité.

L’hégémonie toxique de l’humanité mâle repose sur un asservissement de l’humanité femelle.

Cette hégémonie est constamment consolidée par le système de colonisation de l’humanité femelle qui annexe le corps et l’existence des femmes, leur travail de procréation, leurs énergies créatrices, leur intelligence, leur esprit ; un système qui retourne leur puissance en servitude ; qui les spolie de leur puissance jouissive et leur puissance d’enfantement, de leurs contributions sociales et économiques, de leur pensée, de leur spiritualité ; un système qui les humilie et les traite en humains subalternes ; un système qui les assujettit pour qu’elles donnent raison aux mâles qui les asservissent et se désolidarisent des autres femmes.

Et surtout, pour ce qui concerne le thème de ma conférence, un système qui détruit leur libre arbitre et leur capacité de décider et d’agir, qui les rend impuissantes face aux agressions en tout genre dont elles sont destinataires, mais aussi face aux crimes technologiques perpétrés contre les nouvelles générations.

L’impuissance des femmes qui donnent la vie face à la destruction technologique de la descendance s’accompagne d’une inertie de la très grande majorité des hommes devant la prolifération d’un technomonde hostile au vivant (cf. T.4, Poussées d’émancipation et violences colonisatrices). Ce technomonde les fascine parce qu’il est synonyme de toute puissance et que les hommes n’ont majoritairement pas renoncé aux illusions de toute-puissance.

 

L’inertie des peuples face aux crimes technologiques
dissimule une guerre latente contre les femmes et les prochaines générations

Les crimes technologiques sont certes organisés par une minorité technoscientifique et bureaucratique qui détient un pouvoir exorbitant, celui de faire proliférer le technomonde hostile au vivant, mais la société civile ne s’oppose pas réellement à cet abus de pouvoir. L’impuissance et la fascination se combinent pour garantir l’impunité de ceux qui provoquent des désastres. De ce fait, l’inquiétude pour la descendance qui ronge le cœur des parents reste un malaise latent et n’engendre pas d’action collective.

La pensée collective semble enfermée dans le courtermisme, dans l’horizon temporel de la génération au pouvoir. Comme le souligne Andrew Nikiforuk [8], nous sommes esclaves de la profusion énergétique et du confort matériel immédiat qu’apportent la technologie, même si nous savons qu’elle laisse à nos descendants un terrible délabrement de leur écosystème.

Il est temps de dire que l’inertie face au processus d’autodestruction de l’humanité tient à la complicité de la société sexiste avec la guerre larvée contre les femmes et les humains de demain. Cette guerre est menée en toute inconscience par les mâles les plus hégémoniques. Elle est impensée, mais elle est attestée par l’indifférence collective à l’égard des intérêts intergénérationnels, par la dégradation contemporaine du processus d’engendrement, par la destruction systématique des conditions de survie de nos descendants.

Le prix de cette guerre larvée va être payé par nos descendants pour préserver le déni forcené du réel prosaïque de la vie humaine et les illusions de toute puissance qui caractérisent les mâles hégémoniques.

 

 

La guerre larvée contre l’humanité femelle et la descendance est soigneusement inconscientisée

Je décris de plus en plus précisément dans mes écrits, et en particulier dans le T. 6 en cours d’écriture, le processus d’inconscientisation collective et les stratégies à envisager pour contrecarrer ce processus. Je doute de pouvoir vous les faire bien comprendre dans le peu de temps dont je dispose dans cet atelier mais je suis prête à partager mes travaux dans tous les groupes qui veulent réfléchir à ces questions.

L’inconscient collectif ou civilisationnel estinséparable des rapports de force qui organisent la société et président à la définition de la réalité. Ce n’est pas une sphère immuable et inaccessible du psychisme humain dans son ensemble, ni une couche géologique inatteignable de l’ordre social. C’est une masse épaisse de méconnaissance collective produite par tout une série de dénis et qui est traversée par des conflits occultés qui sont localisables en tant qu’angles morts de la pensée collective. L’inconscient sexiste est une sorte de matière noire psychique constituée du cumul des angles morts (cf. T.5, Comment se fabrique l’hégémonie de l’humanité mâle ?).

La production des angles morts articule trois mécanismes : le mécanisme de déni du réel, le mécanisme de prise abusive du pouvoir de définir la réalité et d’ordonner le monde et le mécanisme d’élimination symbolique ou physique de celles et ceux qui risqueraient de détruire la bulle d’irréel à l’intérieur de laquelle prospère l’hégémonie de l’humanité mâle. Nous reprendrons cette question de la préservation de la bulle d’irréel par ceux qui veulent et croient pouvoir exercer une emprise sans faille sur le monde. Le processus d’inconscientisation est mû par la passion d’ignorance.

 

L’inconscientisation collective sert à la sauvegarde des illusions de toute puissance ;
elle est motivée par la passion d’ignorance
.

L’inconscientisation collective se réalise par l’imposition d’un déni du réel, par les abus de pouvoir que cela exige et par l’élimination des humains « contrariants ». La passion d’ignorance a des effets cognitifs importants, mais elle a aussi des effets sociaux et politiques décisifs que j’ai illustrés par le schéma suivant :

 

Articulation des effets cognitifs, sociaux et politiques de la passion d’ignorance :

 

Toutes les formes de déni du réel trouvent leur racine dans le déni existentiel du réel de la vie prosaïque des humains. Ce déni est porté principalement par l’humanité mâle (cf. T.3, Le système de recolonisation perpétuelle) qui protège ainsi les illusions de l’ego individuel, mais aussi de l’ego collectif, celui qui fonde l’identité des communautés. Les femelles humaines du fait de leur connivence charnelle avec la succession des générations contredisent même sans rien dire ce déni basique et font massivement partie des humains contrariants. Nous y reviendrons.

La suffisance de la technoscience est proportionnelle à la passion d’ignorance qui l’habite. Le pouvoir scientifique est un pouvoir de définition de la réalité. Quand le projet scientifique est habité par une volonté d’hégémonie, il organise la falsification du réel et l’impose grâce à la légitimité des experts.

L’articulation entre le déni du réel, l’abus de pouvoir et l’élimination des humains contrariants peut s’appliquer à la lecture de multiples situations contemporaines, en particulier celle du déni scientifique des conséquences sanitaires du nucléaire qui nous intéresse aujourd’hui.

 

La prise de pouvoir sur la description de la réalité se fait ici grâce aux comités d’experts (ex pères) dans les lieux de haute légitimité politique et en particulier l’ONU.

La disqualification des humains contrariants se réalise par leur réclusion dans les lieux néfastes et par la mise en cause de leur santé mentale. On a vu par exemple que l’UNSCEAR, au lieu de commanditer des études épidémiologiques, a produit un rapport qui remettait en cause la santé mentale des victimes. Ces abus de pouvoir ne seraient pas possibles si l’opinion mondiale exigeait de connaître la vérité.

 

L’emprise des experts se maintient en dépit des faits
parce que les peuples leur délèguent le pouvoir de définir la réalité

Cette délégation a trois raisons principales :

1- L’inconscience collective est toujours plus confortable que la conscience
en particulier en ce qui concerne la guerre latente contre les prochaines générations.

2- Le rapport hégémonie–asservissement est si profondément intégré
qu’il apparaît comme l’ordre normal du monde.

3- Les humains contrariants qui témoignent naïvement de la destructivité des puissants sont en danger,
non seulement à cause de la répression directe des organisateurs du désastre, mais aussi à cause de la
réprobation majoritaire. Cette réprobation concerne la remise en cause des puissants qui représentent
l’ego collectif, l’identité prédatrice [9] de la communauté et la force de la nation.

 

 

La bulle d’irréel se crée grâce au déni fondamental du réel prosaïque de la vie humaine

J’ai posé cette problématique du déni des fondamentaux de la vie humaine (cf. T.1, La femellité et le réel prosaïque de la vie humaine) comme un déni récurrent et généralisé des données élémentaires de notre condition humaine, à savoir que chaque être humain-e est le fruit d’une copulation entre une humaine femelle et un humain mâle (ou a minima la rencontre entre un spermatozoïde et un ovule), qu’en lui ou elle se métissent deux lignées, et cependant qu’étant sexué-e, il ou elle ne peut être génétiquement que mâle ou que femelle, que sa vie a commencé dans le ventre d’une femme et que celle-ci la plupart du temps a assuré sa survie et sa croissance, qu’à son tour, il ou elle peut participer ou non à l’engendrement de la génération qui le ou la remplacera et à la transmission ou non de la dignité d’être humain-e, qu’il ou elle mourra inéluctablement et que son existence est interdépendante de celle des autres humains et d’autres espèces vivantes.

L’agressivité des humains envers leurs successeurs est proportionnelle à leur insondable désarroi devant leur condition d’êtres vivants mortels interdépendants et sexués. Cela explique un grand nombre de maltraitances envers les enfants mais cela va bien au-delà car il est question de la sauvegarde des illusions égocentriques individuelles et collectives.

Cette sauvegarde exige la disqualification des femelles, symboliquement contaminées par leur participation charnelle au remplacement des générations. Elle leur impose trois exigences : premièrement l’effacement de leur existence sociale, deuxièmement qu’elles assument seules et en silence le plus gros du travail pour mener la nouvelle génération à l’âge adulte et troisièmement qu’elles laissent la direction du monde aux mâles. Ces exigences sont enracinées dans l’inconscient civilisationnel sexiste, inséparable de la colonisation de l’humanité femelle.

La gynophobie est une parade imaginaire violente et inhumaine au glissement temporel d’une place à l’autre dans les liens générationnels que je nomme la translation générationnelle de l’existence.

Ce qui est constamment inconscientisé c’est la translation générationnelle de l’existence humaine

Cette translation se déroule en quatre temps, pour simplifier :

1- La naissance de l’individu dont la survie est assurée par ses parents.

2- L’engendrement, avec un individu de l’autre sexe, de la génération suivante. La naissance
    de l’enfant en fait un parent et lui donne la responsabilité de la survie de quelqu’un d’autre.

3- L’engendrement par la génération suivante d’une troisième génération. La naissance des petits enfants
    qui en fait des grands parents, c’est-à-dire ceux qui passent le relai puissance procréative.

4- La disparition de l’individu

 

La naissance des arrières petits-enfants qui est courante aujourd’hui ne change rien d’essentiel à ce glissement temporel des places, ni rien à la difficulté subjective de la perte des places occupées par d’autres [10] et de l’inéluctabilité de la mort prévisible, que j’appelle la mort ordinaire.

La translation générationnelle de l’existence est un concentré de questions épineuses pour chaque individu :

- celle de la sexuation mâle ou femelle et du sentiment d’incomplétude qui s’y attache, celui de n’être
   irréversiblement qu’une des deux incarnations de l’être humain (le phénomène transgenre ne change
   pas la sexuation).

- celle de la copulation féconde avec l’autre sexe qui déclenche le premier changement de place
   et qui incarne l’interdépendance procréative des êtres sexués, interdépendance possiblement heureuse
   et potentiellement conflictuelle.

- celle de la marche inexorable vers sa propre disparition.

 

Les humains ont les pires difficultés à accepter les hasards de leur naissance et de leur identité, la relativité de leur existence, le fait que la pérennité de la vie se réalise à travers la caducité des existences individuelles. L’agressivité envers la descendance se nourrit d’une révolte existentielle refoulée contre la condition d’êtres vivants mortels interdépendants et sexués.

Cependant, l’acquiescement intérieur à la translation et donc à la mort ordinaire est nécessaire pour que les parents assument leur fonction de passation d’existence (cf. T.2, L’enfantement des humains). La passation d’existence est l’implication personnelle positive dans la translation générationnelle. Elle consiste à porter et nourrir le devenir d’une vie naissante, à lui offrir les clés de notre monde pour qu’elle puisse s’épanouir au-delà de notre propre horizon et au-delà de notre inéluctable disparition. Pour le faire joyeusement, il faut être capable de célébrer la vie qui nous traverse et nous transcende. Ce rôle éminent d’humanisation des nouveaux humains qui fait grandir les parents est traité comme tout à fait secondaire par les phallocrates.

Cela ne doit pas nous dissimuler que l’enfantement des humains est le lieu géométrique des conflits entre les sexes (cf. T.2, L’enfantement des humains) parce que le rapport de l’humanité femelle avec la translation générationnelle de l’existence est différent de celui de l’humanité mâle. Les femmes sont traversées charnellement et existentiellement par la vie naissante. Elles vivent cela très fort au moment de l’accouchement qui déroute fortement leur ego. Quand un travail d’intériorisation de cette expérience vertigineuse peut se réaliser, il produit ce que je nomme la sapience femelle. Cette science-sagesse de l’existence est porteuse d’une éthique de la passation d’existence et d’un art de donner naissance qui est beaucoup plus large que la procréation de sa propre descendance.

Il se trouve que la sapience femelle est plus étouffée au 21e siècle qu’elle ne l’a jamais été et la passion d’ignorance a pris aujourd’hui la forme d’une destruction technologique, inédite de l’espèce humaine.


 

La passion d’ignorance est devenue mortelle pour l’humanité, parce que l’hégémonie
de l’humanité mâle a pris la forme d’une toute puissance technoscientifique
et que la passion d’ignorance s’est nichée au cœur de la démarche scientifique

Cette nouvelle toxicité de la passion d’ignorance résulte de la migration
des bastions du pouvoir machiste vers les sciences et les technologies 

Pour comprendre cette migration, il est important de percevoir que la colonisation de l’humanité femelle dépasse la question du patriarcat.

À partir des années 60 et 70 la contestation féministe du patriarcat, a ébranlé son pouvoir de domestication des femmes inscrit dans les institutions. Cette perte d’hégémonie institutionnelle a été dès lors compensée (cf. T.4, Poussées d’émancipation et violences colonisatrices) par une double migration des bastions du pouvoir machiste :

- Une prise de pouvoir idéologique accrue par l’instauration d’une toute puissance informationnelle
   et culturelle, qui intègre maintenant l’intelligence artificielle et le Big Data.

- Une prise de pouvoir accrue sur les infrastructures avec le développement des technologies
   de la toute-puissance. En moins d’un demi-siècle, nous avons assisté au développement exponentiel
   du Technomonde en guerre contre le vivant.

 

Certes, depuis toujours les hommes se sont réservés le monopole des outils et des armes, comme l’a montré Paola Tabet [11] mais désormais la puissance de ces outils et ces armes dépassent de loin la capacité qu’a la raison humaine d’en contenir l’usage. La destructivité y règne en maître. C’est pourquoi ce monopole machiste menace aujourd’hui la survie de l’humanité. Il faudrait pour mener sa reconversion technologique que l’humanité intègre l’éthique de la passation d’existence entre les générations.

Ce n’est pas le cas, on voit au contraire les trans-humanistes investir dans des recherches coûteuses pour vivre mille ans ! Ce prolongement fantasmatique et technologique de l’existence est à l’évidence incompatible avec l’engendrement et avec la passation d’existence. Dans un contexte de surpopulation planétaire, il ne concernerait qu’une toute petite minorité d’humains hégémoniques à l’ego démesuré et accélérerait l’extermination des humains jugés surnuméraires. Ce projet rassemble paradoxalement de plus en plus d’adeptes, au fur et à mesure de l’accélération du suicide collectif. La maîtrise fantasmatique et technologique de la vie et la volonté de toute puissance nourrissent aussi le développement des techniques de la procréation médicalement conduites.

 

Le pouvoir technologique détruit la capacité autonome de procréation des humains
et s’introduit massivement dans un domaine où les femmes étaient biologiquement souveraines

Les technologies biomédicales ont fait intrusion dans la procréation au motif de soigner les troubles de la fécondité provoqués eux-mêmes par des pollutions technologiques. Cette prise de pouvoir techno-médicale asservit le corps fécond des femmes et organise la taylorisation de la procréation humaine, comme elle l’a fait pour la procréation animale : recueil des gamètes, déclenchement d’ovulations multiples par injection massive d’hormones, fécondation in vitro, diagnostic préimplantatoire, gestation pour autrui. L’annexion technologique de la puissance femelle d’enfantement accomplit le rêve démiurgique de fabrication des humains.

Rien ne vient arrêter ce délire hautement phallocratique de reproduction techno-médicale des humains malgré les alertes lancées par quelques savants conscients des dangers encourus comme Jacques Testart [12] qui a participé à la naissance du premier bébé éprouvette et qui a compris les dangers de la manipulation des embryons pour le devenir de l’espèce. Ces mises en garde sont sans effet sur l’ivresse de la toute-puissance scientifique. Les conséquences néfastes des technologies de la toute-puissance ne sont pas des dommages collatéraux, elles sont incluses au départ dans leur projet [13] hégémonique.

Une toute-puissance technoscientifique illusoire et mortifère s’est incrustée au cœur des institutions scientifiques

La toute-puissance est toujours illusoire et toujours mortifère car elle découle de la passion d’ignorance et elle participe à une logique thanatocratique où les puissants détiennent le droit de vie et de mort. C’est une expression de la pulsion de mort. Jamais dans le passé nous n’avons assisté à une telle industrialisation de la pulsion de mort.

Je vous ai mené dans une exploration anthropologique et socio-politique de la question : Pourquoi les peuples laissent-ils s’accomplir le crime nucléaire contre les prochaines générations ?

Vous voyez que les femmes subissent et que les hommes laissent faire parce qu’ils ont pris et partie prenante dans le processus de fabrication sociale de l’hégémonie des mâles et que de ce fait, ils ne sont pas exempts de complicité avec la thanatocratie, la passion d’ignorance, les illusions de toute puissance et leur matérialisation technologique. Complices et victimes, embarqués dans un processus d’autodestruc-tion de l’humanité où l’on tue le devenir pour ne pas être confronté à l’insondable désarroi qui habite les profondeurs du psychisme Humain.

 

 

La lutte pour la décolonisation de l’humanité femelle est une voie majeure pour instituer
l’égalité du droit d’exister entre hommes et femmes mais aussi entre les générations
,

Pour se décoloniser pacifiquement, l’humanité femelle devra partager son savoir sur l’insondable désarroi des humains qui est la source intarissable de leur destructivité et de leur fascination pour le pouvoir.

Le travail de conscientisation collective des ressorts anthropologiques inconscients de notre course à l’abîme est déterminant pour réaliser le bond civilisationnel [14] que beaucoup appellent aujourd’hui. Ce bond doit se faire vers une société qui respectera la Terre en tant que Maison Commune [15] des êtres vivants. Une société où chacun en partant aurait le souci de laisser la Maison commune aussi propre et belle qu’il l’a trouvé en entrant et où il s’honorerait de la laisser plus belle encore à ses descendants. Le courant éco-féministe, auquel je participe et que j’essaie de développer, porte ce projet de mutation civilisationnelle.

La lutte pour les droits des prochaines générations intègre une lutte politique et éthique contre la thana-tocratie, contre les prises de pouvoir fondés sur la capacité d’extermination. Nous la mettrons en œuvre en agissant en particulier pour l’interdiction des armes nucléaires et du commerce des armes.

Nous devons aussi prendre en main la lutte organisationnelle contre la technodictature, ce qui signifie d’abord de récupérer notre libre arbitre, nos capacités d’agir et de décider par un travail interactif de désaliénation (T.6 en cours d’écriture), puis d’organiser la légitime défense collective contre la prolifération d’un technomonde hostile au vivant. Vandana Shiva par exemple conduit cette démarche dans l’agriculture et l’alimentation en Inde [16].

 

Dans cette perspective le forum social Mondial antinucléaire peut être une étape importante
pour organiser la légitime défense collective contre la technodictature nucléaire.

J’espère que nous parviendrons à nous fixer des objectifs communs suffisamment précis d’exercice du contre-pouvoir citoyen. Nous avons des pistes qu’il faut mettre en musique, j’en cite quelques-unes :

- La piste des actions juridiques et médiatiques contre l’irresponsabilité et l’impunité de l’industrie nucléaire.

- En particulier en contestant la Convention de Paris de 1960 [17] qui la dispense d’assumer
  les conséquences de son activité et d’indemniser ses victimes. Si l’industrie nucléaire   
  était soumise à la loi commune du pollueur-payeur et si elle ne faisait plus payer à la collectivité
  le soin des malades et l’enfouissement des déchets, cela accélèrerait considérablement son désastre   
  économique, déjà notoire et nous permettrait de passer à une autre économie énergétique.

- Porter plainte contre l’orchestration par les comités d’experts de l’isolement et la disqualification
  des populations contaminées et l’aggravation de leurs conditions de vie qui en découle.

- Rendre publique la responsabilité nominative des experts.

- Soutenir une organisation internationale et fédérative des populations atteintes
  dans leur intégrité physique et génétique par la radioactivité.

- Défendre les droits humains des populations vivant dans les zones contaminées par une alliance
  des mouvements antinucléaires et des mouvements de défense des droits humains.

- Organiser le financement participatif des recherches épidémiologiques indépendantes.

- Exercer une pression citoyenne sur l’ONU
  pour qu’elle dissocie enfin la radioprotection et la promotion du nucléaire.

- Entreprendre de déloger les scientifiques pronucléaires de leurs bastions institutionnels.

- Préparer une règlementation internationale contre les entreprises écocides.

- Reconnaître le droit à une légitime défense collective du devenir de l’humanité.

- Obtenir la parité des hommes et des femmes dans tous les organismes internationaux
  et au Conseil de Sécurité en particulier.

 

Nicole Roelens,
Breitenbach le 26 octobre 2017

Télécharger ce texte

Cet article est l'une des principales contribution de l'atelier « Libérer l'ONU du nucléaire »
qui s'est tenu lors du Forum Social Mondial Antinucléaire le 3 novembre 2017 à Paris, mais il n'a
malheureusement pas pu y être développé. Vous trouvez donc ici le texte intégral de cet important apport.

 

Un grand nombre de sources, documents et réflexions, réunis et compilés à cette occasion,
sont consultables dans notre dossier en ligne :

Voir le dossier

 

notes :

[1] - Conséquences de la catastrophe de Tchernobyl : Chernobyl. Consequences of the catastrophe for people and the environnement, Annals of the New York Academy of science, Volume 118 par Alexey V. Yablokov, Vassili B. Nesterenko et Alexey V. Nesterenko, Académie des sciences de New York, 345 p., 2010.

[2] - Vocabulaire lié aux normes établies a priori et qui n’ont pas de fondement scientifique

[3] - Illich I., La convivialité, Seuil ; 1973

[4] - Voir la lettre ouverte au Président de la République pour la ratification du traité d’interdiction des armes nucléaires : https://www.change.org/p/monsieur-emmanuel-macron-président-de-la-république-pour-la-ratification-du-traité-d-interdiction-des-armes-nucléaires.

[5] - Ces décès sont noyés dans les 59 millions de décès annuels dans le monde, comptabilisés par les statistiques des démographes qui nous rappellent aussi que nous sommes naturellement mortels.

[6] - Jorion P., Le dernier qui s’en va éteint la lumière, Fayard 2016

[7] - Roelens N., Manifeste pour la décolonisation de l’humanité femelle, L’Harmattan, édité en cinq tomes :

T.1 - La femellité et le réel prosaïque de la vie humaine, 2013
T.2 - L’enfantement des humains, 2014
T.3 - Le système de recolonisation perpétuelle, 2014
T.4 - Poussées d’émancipation et violences colonisatrices, 2014
T.5 - Comment se fabrique l’hégémonie de l’humanité Mâle ?, 2016

[8] - Nikiforuk A., L’énergie des esclaves, Montréal, Les éditions Écosociété, 2015

[9] - Appadurai A., Géographie de la colère, la violence à l’âge de la globalisation, Petite Bibliothèque Payot, 2006

[10] - Les individus qui n’engendrent pas sont moins exposés intimement aux changements de place générationnelles, mais ils restent confrontés socialement à l’arrivée des nouveaux postulants.

[11] - Tabet P., La construction sociale de l’inégalité des sexes, Bibliothèque du Féminisme, L’Harmattan, 1998

[12] - Testart J., Faire des enfants demain, la mise en garde d’un pionnier de la PMA, Seuil 2016

[13] - Latour B., Cogitamus, Editions de la découverte 2010

[14] - Morin E., La voie, Paris, Fayard, 2011

[15] - Terme employé dans l’encyclique Laudato Si

[16] - Astruc L., Vandana Shiva pour une désobéissance créatrice, Actes Sud, 2014

[17] - Convention sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire (Convention de Paris) du 29 juillet 1960 amendée le 28 janvier 1964 et le 16 novembre 1982 : https://www.oecd-nea.org/law/nlparis_conv-fr.html

 

> Retour